Victor Hugo incarne un romantisme
français révolutionnaire dans la forme, un romantisme extérieur qui coïncide
avec le romantisme allemand en ce qui concerne le goût du populaire. Sa
recherche constante en faveur de la liberté de l´art se traduit par une
conception de la musique ouvertement germanique. Contrairement aux défenseurs
de la musique italienne, Hugo trouve que le véritable verbe de ce pays est la
musique. Le chant en langue germanique est synonyme de délivrance. L´Allemagne
se sert de l´harmonie pour communiquer avec le reste des humains. Il admire ses
poètes car ils sont tous des musiciens : « La musique, par son défaut
de précision même, qui, dans ce cas spécial, est une qualité, va où va l´âme
allemande »
Victor
Hugo ne possédait aucune formation musicale et sa connaissance de l´histoire de
la musique est très faible. Dans son fameux poème sur la musique « Que la
musique date du seizième siècle » on peut remarquer des erreurs grossières
aussi bien sur le plan théorique que sur le plan historique :
« Puissant
Palestrina, vieux maître, vieux génie,
Je vous salue
ici, père de l´harmonie,
Car, ainsi qu´un
grand fleuve où boivent les humains,
Toute cette
musique a coulé de vos mains !
Car Gluck et
Beethoven, rameaux sous qui l´on rêve,
Sont nés de
votre souche et faits de votre sève !
Car Mozart,
votre fils, a pris sur vos autels
Cette nouvelle
lyre inconnue aux mortels,
Plus tremblants
que l´herbe au souffle des aurores,
Née au seizième
siècle entre vos doigts sonores !
Car, maître,
c´est à vous que tous nos soupirs vont
Sitôt qu´une
voix chante et qu´une âme répond ! (Les
Rayons et les ombres, XXXV, III).
Mais cela ne veut pas dire que le
poète soit insensible à la musique. Disons qu´il a un goût particulier de l´art
musical qui passe par l´irrationnel de ce langage qui néanmoins l´attire
irrémédiablement. Ces vers datent de 1833. Il les a écrits à la suite d´un
concert de musique ancienne à Paris. C´est une période « musicale »
pour le jeune romancier qui depuis 1821 assiste aux concerts où l´on joue la
musique des maîtres en vogue. Il a déjà goûté le ton romantique de l´opéra de
Weber, Der Freichütz, et il connaît
bien Berlioz et sa Symphonie fantastique.
A partir de 1840 on trouve chez lui la
préférence qui va l´accompagner jusqu´à la fin de sa longue vie :
Beethoven. Dans une partie manuscrite finalement non introduite dans son William Shakespeare, il parle des colères créatrices propres aux grands artistes. Ainsi, se référant
à l´Allemagne il note. « Ce sont ces colères qui font de Schiller le
premier poète de l´Allemagne. Schiller est ému et puissant. Il a en lui la
grande âme allemande. L´âme allemande lorsqu´elle s´incarne, crée des hommes
sublimes. Elle est, quand bon lui semble, toute la métaphysique, elle s´appelle
Kant ; elle est toute la musique et elle s´appelle Beethoven ». Ce compositeur est « le grand allemand », sa musique
le fascine parce qu´elle est pure harmonie et une symphonie sonore unique. Lorsque
Beethoven n´est plus à la mode, il continue d´être fasciné par la faculté qu´un
génie sourd a de composer une musique éblouissante. C´est lui son préféré dans
sa réflexion sur le mystère de l´art. Beethoven a su noter l´harmonie zodiacale
des sphères dont parlait Platon. C´est un compositeur qui n´a besoin de
l´oreille car dans sa surdité le verbe harmonique et symphonique est présent. Hugo
parle des symphonies du compositeur de manière très poétique. Sa musique est
comme une voix qu´on ajoute à l´homme. Il y voit un magnifique dialogue entre
l´âme et la nature, entre la mélodie et l´harmonie. C´est une musique unique,
un bruit qui pense. Le poète conclut ainsi son éloge de Beethoven :
« Ces symphonies éblouissantes, tendres, délicates et profondes, ces
merveilles d´harmonie, ces irradiations sonores de la note et du chant, sortent
d´une tête dont l´oreille est morte. Il semble qu´on voie un dieu aveugle créer
des soleils ». (REVUE MUSICALE). Nous estimons que ces
propos sont une belle définition de ce qu´il entendait par l´acte créateur. La
surdité l´oblige à créer à partir du silence du chaos harmonique que
l´orchestre doit traduire. Certes, la matière que l´artiste possède est le
langage, mais ce langage relève de l´invisible, de l´inconnu. La tâche du
créateur consiste à réguler le chaos sans pour autant renoncer à lui, à sa
richesse expressive. Comme le signale Jean-Pierre Richard à propos de Hugo, le
langage dans la rêverie de Hugo s´offre comme le chaos et ce qui le détache du
chaos : « Il est le « chaos qui lutte comme
l´homme », mais l´espace aussi où l´homme se rend maître, ou du moins
signifiant de son chaos ».
Il est certain que le goût musical du
poète se manifeste de manière restreinte dans son œuvre. Toutefois, outre son
admiration beethovénienne, il a constamment eu recours à des métaphores sonores
et musicales. La nature lui offre des voix et des bruits qui sont des messages
de ce langage informe qui annonce par ailleurs des révélations secrètes de l´univers
que le poète doit transcrire. Hugo a été un grand visuel et ses impressions
auditives sont d´une puissance imaginative hors pair. Les extases cosmiques des
poèmes inclus dans « Autrefois »
(Les Contemplations), « une âme
qui se raconte », sont un exemple de sa musicalité marquée par
l´harmonie de la nature dans sa totalité. Comme Beethoven, c´est un visionnaire
qui extrait de la « nébuleuse de l´art », c´est ainsi qu´il
qualifiait la musique, tous les sons de « l´immense clavier » qu´est
la nature.
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