jueves, febrero 19, 2009

Un récit musico-libertin de Diderot






Les Bijoux indiscrets (1748) est un récit de Diderot qui esquisse un parallèle entre Lully et Rameau. On y trouve deux lectures musicales différentes qui seront à la base des querelles du XVIIIe siècle. Le chapitre XIII « De l´opéra de Banza » oppose de manière caricaturale la musique naïve de Utmiutsol, Lully, à la musique scientifique de Utremifasolasiututut, Rameau : « Ces deux auteurs originaux avaient chacun leurs partisans : les ignorants et les barbons tenaient tous pour Utmiutsol ; la jeunesse et les virtuoses étaient pour Utremifasolasiututut ; et les gens de goût, tant jeunes que barbons, faisaient un grand cas de tous les deux ». De manière décontractée et comique le narrateur fait un compte-rendu des goûts musicaux en vogue à Paris au milieu du siècle. Le côté sophistiqué de la musique de Rameau a, en contrepartie, un pouvoir anesthésiant et le vieux Lully est trop simple. Il est certain que Diderot pense déjà à une nouvelle musique.
D´un autre côté, le romancier en tant que critique de la société ironise aussi sur le goût douteux du public, plus soucieux sans doute de paraître que de savourer la musique du spectacle lyrique : « Quoi qu´il en soit, de mon temps, toute la ville courait aux tragédies de celui-ci, et l´on s´étouffait aux ballets de celui-là ». Néanmoins, au-delà de la caricature, la partie la plus intéressante a lieu lors de la représentation d´un ouvrage de Utremifasolasiututut « qu´on n´aurait jamais représenté qu´en bonnet de nuit ». Ici le texte met en équivalence l´organe du plaisir sexuel et celui de la parole et du chant. En effet, les bijoux à qui d´habitude l´anneau magique du sultan Mangogul fait parler avec sincérité, commencent à chanter. Si lorsqu´ils parlent ils révèlent la vérité, quand ils chantent ils se servent du langage des passions, la musique, exprimant la vérité, mais aussi un imaginaire. On notera donc que pour Diderot la musique que l´on écrit à l´époque ne suffit pas pour exprimer les désirs les plus profonds. Ainsi, au quatrième acte quand les chœurs trop longs font bailler la favorite, Mangogul fait tourner sa bague et le spectacle change radicalement. Ce ne sera pas la voix des chanteuses qui s´exprimera mais les bijoux porteurs des désirs. L´imaginaire musical de Diderot est une sorte de fête des sens, de libération collective par le chant, de cacophonie. C´est surtout une énorme dissonance, dans le sens où celle-ci contredit les lois aussi bien sociales qu´esthétiques : « Trente filles restèrent muettes tout à coup : elles ouvrirent de grandes bouches et gardaient les attitudes théâtrales qu´elles avaient auparavant. Cependant, les bijoux s´égosillaient à force de chanter, celui-ci un pont-neuf, celui-là un vaudeville polisson, un autre une parodie fort indécente, et tous des extravagances relatives à leurs caractères ». La violence des sensations jaillit donc de toutes ses forces du texte libertin. Le chant est le moyen d´exprimer le primitif. Par ce biais le chant dépasse la parole simple. Ce mélange des chants incongrus est aussi souligné par l´orchestre qui malgré tout ne cesse de jouer toujours son train. Il est intéressant de constater que le résultat de ce spectacle ridicule est une cacophonie assourdissante qui secoue tout le monde. Dans la conception esthétique de Diderot, la musique est capable de produire des effets tumultueux chez l´auditeur. Ce petit texte libertin est un bon texte littéraire pour comprendre ce que Diderot pense de la sensation musicale et des effets qu´elle est capable d´engendrer.